OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’oeuvre ou le livre ? http://owni.fr/2010/03/05/loeuvre-ou-le-livre/ http://owni.fr/2010/03/05/loeuvre-ou-le-livre/#comments Fri, 05 Mar 2010 11:51:04 +0000 Serge-André Guay http://owni.fr/?p=9440 rosette1

Photo · skëne · sur Flickr

Dans le compte-rendu de sa participation à La Fabrique du numérique (Québec), l’écrivain québécois Dominic Bellavance écrit : « On m’a sermonné quand j’ai parlé de ”livre numérique”, mais il est vrai que l’on doit maintenant utiliser le terme ”œuvre numérique” qui englobe beaucoup plus de possibilités. »Source ] Le chroniqueur Michel Dumais allait dans le même sens en écrivant ce commentaire sur Twitter pendant le même événement : « On a cessé de parler de l’industrie du disque au profit de celle de la musique. On arrête de parler de livre? Industrie de l’œuvre ? » [ Source ]

On  se souviendra également du commentaire de l’auteur français François Bon peu avant l’événement : « ai été surpris retour en force du mot “livre” dans la présentation, pourtant évincé de la phrase principale du chapeau — ça dit bien un des enjeux de la rencontre : c’est comme faire du vélo sans roulettes, on n’est pas encore habitué à l’idée d’aller dans ces zones-là débarrassés de l’idée même du livre qui en a été le support non pas daté, mais datable — en gros : est-ce qu’on n’a pas déjà dépassé le stade d’une “métamorphose” du livre pour être dans l’éclosion d’usages neufs, sur des supports nouveaux aussi, et où transporter notre responsabilité de transmission, de création, d’imaginaire, n’impose pas forcément d’emporter l’ancien équilibre, et ne peut en aucun cas soulager ses marques grandissantes d’incapacité ou d’échec ? »

L’œuvre ou le livre ?


Il est aisé de comprendre cette demande de référence à l’œuvre plutôt qu’au livre chez ceux qui pratiquent de nouvelles formes d’écriture venues du numérique et du web. En effet, difficile d’affirmer qu’une série de billets publiés dans un

carnet web (blogue) soit un livre. Difficile aussi de considérer qu’une série de commentaires de 140 caractères maximum chacun publiée sur Twitter (site web d’échange social) soit un livre. À ces deux exemples s’ajoutent l’écriture collective, à plusieurs auteurs, sur un site web, l’écriture en direct sur un site web sous l’influence des commentaires des lecteurs, l’écriture avec des liens hypertextes conduisant à des définitions, des descriptions de lieux et de personnages…, l’écriture avec des vidéos intercalées, l’écriture en mise à jour constante, et que sais-je encore. On veut nous faire comprendre que toutes ces nouvelles formes d’écriture ne sont pas nécessairement des livres et qu’il vaut mieux parler d’œuvres.

Certes, allons-y avec œuvre. Mais il faut alors percevoir l’œuvre comme un simple manuscrit, le fruit d’une écriture qui n’est pas encore éditée. Dans le domaine traditionnel du livre, l’œuvre se présente d’abord sous la forme d’un manuscrit et ce n’est qu’une fois éditée qu’elle se présente sous la forme d’un livre. Et puisque l’édition ne se limite pas à une simple reproduction de l’œuvre sous la forme d’un livre, on parle de l’œuvre originale, le manuscrit soumis à l’éditeur, et de l’œuvre finale, c’est-à-dire le livre proposé aux lecteurs.

Si l’on veut parler de l’industrie de l’œuvre plutôt que du livre, il faut savoir que l’œuvre demeure au départ un produit brut. Une industrie de l’œuvre serait alors ni plus ni moins qu’un

e industrie de la matière première, une simple pile de manuscrits (papier et numériques) en tous genres sans aucun apport des éditeurs. Une industrie de l’œuvre nous ramène donc à un concept bien connu et fort populaire : l’autoédition.

Évidemment, il ne s’agit pas là de la vision des tenants de l’œuvre face au livre. La question suivante est posée à l’éditeur : n’y a-t-il pas un nouveau produit de transformation à tirer de ces œuvres nouvelles aux formes d’écriture tout aussi nouvelles, autre chose qu’un livre ? On veut attirer notre attention sur l’œuvre de peur que le livre nous aveugle et ne nous permette pas d’imager le ou les nouveaux produits de transformation de l’œuvre en remplacement du livre.

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Photo Wa So sur Flickr

Le modèle économique et le contenu

Du même coup, on suggère de ne pas s’attarder au modèle économique, comme le rapporte l’écrivain Dominic Bellavance dans

son compte-rendu de l’événement La fabrique du numérique : « J’espérais surtout sortir de cette journée en ayant fait prendre conscience aux acteurs du milieu qu’on avait besoin de définir des standards pour le contrat d’édition. Ma première grosse déception de la journée, une suggestion citée par Gilles Herman et qui a été applaudie dans toute la salle : « ne nous concentrons pas sur le modèle économique, il se définira lui-même, mais concentrons-nous sur les contenus ». [ Source ] (Gilles Herman est directeur général et éditeur aux Éditions du Septentrion et il siège au comité du numérique de l’Association nationale des éditeurs de livres (Québec)). On peut comprendre la déception de l’écrivain face à cette suggestion d’autant plus qu’elle fut reléguée par un éditeur.

Clément Laberge, vice-président édition numérique chez la firme De Marque (Québec), apporte un bémol à la suggestion : «Exprimée à la fin de la première série d’atelier [citée par Gilles]: ”ne nous concentrons pas sur le modèle économique, il se définira lui-même, mais concentrons-nous sur les contenus”. Je suis d’accord si cela est une invitation à définir les modèles par l’action, en tentant des expériences. Mais très franchement je n’aime pas tellement l’idée que les ”modèles économiques vont se définir eux-mêmes”. Ce n’est pas vrai ! Les modèles économiques ne sont pas neutres, ils rendent compte de rapports de forces et d’interactions complexes entre des acteurs qui poursuivent des objectifs très différents et ils s’appuient sur des valeurs (au sens moral) dont on ne peut pas se désintéresser. Il ne faut pas perdre de vue que les modèles économiques ne seront pas neutres sur la nature de la création littéraire ni sur la nature de ce à quoi les gens s’intéressent au moment de choisir de la lecture. Ne soyons pas candides.» [ Source ]

Le produit de l’édition

Il faut insister : le produit de l’édition, c’est le livre. Et un livre, c’est un livre. L’oeuvre est dans le livre et le livre peut aussi être lui-même une oeuvre d’art. Voilà la réalité du modèle économique actuel et, plus important encore, la réalité du lecteur. Pour guider ce dernier dans le passage au support numérique et électronique, il faut préserver le concept du livre : livre numérique, livre électronique. La résistance naturelle au changement exige que l’on procède par étape, d’abord en ajoutant quelque chose de nouveau à quelque chose de vieux, dans ce cas-ci, le numérique au livre.

Ceci fait, on pourra inventer autant d’autres produits que l’on voudra. Mais je vous rappelle que le taux de succès des nouveaux produits de consommation (sans vouloir insulter le livre) ne dépasse pas les 10%. Autrement dit, 90% des nouveaux produits connaissent l’échec, d’où l’importance d’expérimenter, comme le dit si bien Clément Laberge. Mais attention à l’expérimentation sur la place publique car il n’y a rien de plus risqué pour s’attirer de mauvaises critiques ou, pis encore, pour rebuter la population avant même le lancement du nouveau produit. Et c’est plus particulièrement vrai dans le cas du livre, une institution culturelle de grande envergure.

Ce n’est que dans la démocratisation de l’accès à l’édition grâce aux nouvelles technologies qu’il y a révolution dans le domaine du livre.

Pour le reste, c’est de l’évolution. Le livre passe au numérique comme le téléphone fixe est passé au téléphone mobile. Notez que le produit est encore et toujours appelé « téléphone » et que cela n’a pas empêché le développement de nouvelles applications, bien au contraire. Dans ce contexte, la référence au livre comme le produit de l’édition s’avère essentielle au succès des nouvelles formes d’écriture.

La mode du moment et l’avenir du livre

Et si on mettait nos pupitres en cercle ? Et si on avait un écureuil en classe ? Et si on fabriquait un théâtre de marionnettes ? J’étais en sixième année à l’école élémentaire lorsque la méthode active a fait son entrée dans l’enseignement au Québec. J’en garde un excellent souvenir. Contrairement aux années précédentes, très austères avec ses cours magistraux et ses coups de règles sur les doigts, ma sixième année fut un terrain de jeux.

Cependant, la méthode active ne fut qu’une mode du moment adoptée que par quelques enseignants aventuriers. Qui allait nourrir l’écureuil, les poissons, les tortues, les couleuvres,… pendant les deux mois de vacances estivales ? La réalité a rattrapé bon nombre d’enseignants adeptes des méthodes actives au cours des années 80. Mais l’idée fondamentale a persisté et a influencé tous les programmes pédagogiques au Québec adoptés en réformes successives depuis l’époque. Aujourd’hui, les résultats concrets de l’école moderne de la nouvelle éducation laisse à désirer au chapitre des connaissances. L’intégration de l’activité et, plus récemment, de l’apprentissage par projet dans la pédagogie semblent se faire au détriment de la maîtrise des matières de base dans nos écoles. Curieux n’est-ce pas comme l’euphorie du moment envers une nouvelle mode peut tout faire dérailler à long terme ? Je crains que l’avenir du livre, sans le livre et au profit des œuvres, soit dans une telle euphorie. Comprenez-moi bien, je ne suis pas contre l’expérimentation et l’exploration mais je crains l’altération voire la destruction du déjà su avant même l’arrivée d’un nouveau savoir.

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Photo bob august sur Flickr

Les créations collectives et les nouvelles formes d’écriture : le même avenir ?


L’euphorie manifeste des opposants à la référence au livre (au profit de l’œuvre) se compare à celle observée lors de l’arrivée des créations collectives dans le milieu théâtral au Québec dans les années 60 et 70. Je me souviens encore de l’engouement suscité par le projet de création collective proposé par l’un des professeurs de théâtre à mon école secondaire.

« Dans son usage le plus courant, l’expression désigne une technique permettant de concevoir une pièce en groupe, avec ou sans l’aide d’un dramaturge. Les défenseurs de ce processus de création soutiennent qu’il transforme l’acteur en artiste créateur et l’amène à exprimer sa propre expérience à travers son jeu. » explique Gilbert David dans son article sur le sujet publié par L’Encyclopédie canadienne, offerte en ligne par la Fondation Historica.

Malheureusement, on termine souvent sa course dans le décor quand on démarre sur les chapeaux de roues. Des centaines de petites troupes de théâtre adeptes de la création collective tracent leur chemin au cours des années 60 et 70, puis disparaissent.

À mon humble avis, c’est un avenir aussi sombre qui frappera à moyen terme les nouvelles formes d’écriture numérique tout comme les œuvres numériques qui en résultent. Pour sa part, le livre numérique traditionnel (avec ou sans lien hypertexte, vidéo intégrée…) gagnera en crédibilité et s’imposera à côté du livre papier.

Gilbert David souligne dans L’Encyclopédie canadienne qu’«une fois la dramaturgie canadienne parvenue à un stade où les dramaturges peuvent vivre de leur art, la création collective apparaît moins nécessaire.» Il en sera ainsi dans le domaine du livre. Je paraphrase : une fois l’industrie du livre parvenue à un stade où les auteurs de livres numériques pourront vivre de leur art, les nouvelles formes d’écritures numériques apparaîtront moins nécessaires. Je me réfère ici autant aux auteurs publiés sous la forme de livres papier accompagnés de leurs versions numériques qu’aux auteurs publiés uniquement sous la forme de livres numériques. Notez la répétition du mot « livre » par opposition à la référence imposée à l’œuvre depuis peu.

Gilbert David ajoute : « Paradoxalement peut-être, la création collective a conduit à la redéfinition des tâches artistiques au sein des compagnies théâtrales, en pavant la voie à un retour en force de la mise en scène. » Je paraphrase de nouveau : Paradoxalement peut-être, les nouvelles formes d’écriture conduiront à une redéfinition de la chaîne du livre, en pavant la voie à un retour en force de l’édition (et de l’éditeur). Il faut se rappeler que le numérique permet à plusieurs auteurs de contourner l’éditeur voire toute la chaîne du livre traditionnel.

En résumé, le jour où un modèle économique rentable pour le livre numérique aura fait ses preuves, la recherche de nouvelles voies dans les nouvelles formes d’écriture numérique cessera ou deviendra une spécialité de quelques universitaires. Il n’est donc pas utile de mettre de côté le livre au profit d’un concept plus large (l’œuvre) mais de travailler très fort à l’émergence d’un modèle économique viable et équitable pour tous les acteurs du livre, industriels et artisans. Il n’y aura pas de nouveaux produits littéraires qui émergeront des nouvelles formes d’écriture numérique.

Des nouvelles formes d’écriture, vraiment ?

Doit-on parler de nouvelles formes d’écriture ou de nouveaux supports technologiques ? Est-ce que mettre des liens hypertextes dans un texte constitue une nouvelle forme d’écriture ? Non, car je n’écris pas en fonction des liens que je place dans le texte. Le lien hypertexte est uniquement un nouveau support technologique offert par le numérique pour livrer des références au lecteur. Est-ce que le blogue est une nouvelle forme d’écriture ? Non, le blogue est ni plus ni moins qu’un nouveau support pour les formes d’écriture que l’on connaît déjà : billet, nouvelles, articles… L’écriture «blogue» n’existe pas. Est-ce que l’écriture collective est une nouvelle forme d’écriture ? Non, ce n’est pas d’hier que des gens se réunissent pour écrire une œuvre collective.


Où sont-elles ces nouvelles formes d’écriture dont on parle tant ? Sur Twitter, morcelées en 140 caractères ? Aussi bien dire qu’on trouve une nouvelle forme d’écriture dans les 140 post-it collés sur mon réfrigérateur . On ne peut pas parler d’une nouvelle forme d’écriture à l’arrivée de chaque nouveau type de site web. Voyons donc, ce n’est pas sérieux ?

Même dans le cas du «journalisme citoyen» on ne peut pas vraiment parler d’une nouvelle forme d’écriture. Si l’expression doit son existence au web, il faut se rappeler que plusieurs citoyens pratiquaient déjà ce type de journalisme dans les médias communautaires et libres (journaux, radio, télévision). Le journalisme citoyen est l’une des déclinations du style journalistique et non pas une nouvelle forme d’écriture.


Ah ! Oui, on saura me dire que les nouvelles formes d’écriture sont dans le support lui-même. On n’écrit pas pareil lorsqu’on utilise un clavier et un ordinateur que lorsqu’on utilise un crayon et du papier. Peut-être, mais cela ne donne pas pour autant naissance à une nouvelle forme d’écriture.

Je sais, on parle de l’écriture web. Certains fournisseurs de contenu web en font une spécialité. Ils écrivent des textes en fonction des particularités du web. Par exemple, on répète volontairement certains mots-clés dans le texte. Les moteurs de recherche s’attardent au nombre de fois qu’un mot-clé est présent dans un texte pour en déterminer le classement parmi les résultats de recherche. J’utilise parfois cette approche et je la considère davantage comme une technique qu’une nouvelle forme d’écriture.

Bref, si le support technologique a le pouvoir d’influencer l’écriture, aucune nouvelle forme d’écriture n’a vu le jour jusqu’à présent. Certains ont peut-être l’impression de réinventer le monde de l’écriture dans l’univers technologique, mais ce n’est qu’une impression. Écrire et publier sur un nouveau support est une chose, inventer une nouvelle forme d’écriture en est une autre. Et si je me trompe, j’aimerais bien qu’on me liste et me définisse ces nouvelles formes d’écriture en prenant grand soin de tenir compte des formes existantes.

CONCLUSION

L’avenir n’est pas dans un détour par l’œuvre

Une grande confusion régnerait au sien de la population si toutes les discussions autour de ces soi-disant nouvelles formes d’écriture et au sujet de la remise en question de la référence au livre au profit de l’œuvre trouvaient un écho public étendu. Déjà incité à se familiariser avec le livre électronique et les exemplaires numériques, le bon peuple a déjà plusieurs décisions à prendre dans la balance. S’il faut que des « hippies des pixels » viennent mêler les choses, plusieurs personnes vont tout simplement décrocher et l’avenir du livre souffrira d’une mauvaise réputation, sans doute passagère, mais tout de même néfaste à la campagne d’information en cours depuis quelques années auprès de la population. Forcer un détour par l’œuvre pour ensuite nous rendre compte qu’il faut revenir en force au concept du livre sèmera la confusion.

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Image Gileslane sur Flickr

L’avenir du livre est dans le livre

Qu’il soit imprimé sur papier ou sous la forme d’un fichier numérique, l’avenir du livre est pour longtemps encore dans le concept même du livre. Pour le définir, il faut respecter la perception du livre au sein de la population : un objet de papier imprimé d’une œuvre. Actuellement, le livre papier domine mais le livre électronique et les exemplaires numériques font leur petit bonhomme de chemin dans la culture populaire. La force de l’idée du livre réside dans sa clarté.

On peut évaluer l’ampleur de cette force de l’idée du livre dans les différentes histoires du livre. Par exemple, on peut lire : « Les premiers livres ont pour support des tablettes d’argile ou de pierre ». Comment un historien peut-il affirmer que les écritures de ces époques étaient des livres ? Il faudrait savoir comment les gens de ces époques nommaient leurs écrits. C’est sans aucun doute en raison de la domination de l’idée du livre dans son intellect que l’auteur de cette histoire du livre projette dans le passé un produit qui naîtra beaucoup plus tard. Telle est la force de l’idée du livre au siècle dernier et de nos jours. L’industrie du livre ne deviendra pas l’industrie de l’œuvre, comme l’industrie du disque est devenue l’industrie de la musique, car même l’œuvre fait référence au livre au sien de la population.

L’œuvre fermée et l’œuvre ouverte

Enfin, certains justifient la référence à l’œuvre plutôt qu’au livre parce que ce dernier se rapporte à une œuvre fermée dès qu’elle est imprimée. On parle de l’œuvre ouverte, c’est-à-dire en constante évolution, telle que le permettent les nouvelles technologies, notamment le web. L’auteur retouche alors son œuvre librement sur le web, la bonifie, en réécrit des passages, ajoute des liens hypertextes et peut-être même des vidéos. Malheureusement, le public est habitué à la lecture d’œuvre fermée. Le lecteur ne tient pas à relire sans fin la même œuvre pour en apprécier l’évolution constante en décelant ici et là les retouches et les ajouts. Même dans la musique chaque version est fermée. Il en va de même de l’œuvre d’un peintre. Même s’il peut la réaliser sur plusieurs années, un jour ou l’autre, il complète définitivement son œuvre. Et c’est le résultat final, le produit fini, dont l’amateur se porte acquéreur. Assister au travail en direct de l’écrivain sur le web intéressa sans doute certains lecteurs mais ils se lasseront si l’accouchement s’éternise ou en l’absence d’un produit fini.

Il y a déjà tant à lire, si nous devons lire et relire sans cesse les œuvres numériques ouvertes, nous abandonnerons… si l’auteur ne baisse pas les bras avant les lecteurs. Chez l’éditeur Robert ne veut pas lire, ce sont les auteurs eux-mêmes qui ont abandonné leurs feuilletons en premier. L’éditeur exige désormais de ses auteurs l’ensemble de l’œuvre, une œuvre complétée, fermée, avant de la publier en feuilletons. Seule l’œuvre fermée a un avenir commercial.

Billet initialement publié sur Le Monde du livre sur Internet, le magazine en ligne de la Fondation littéraire Fleur de Lys, sous le titreLa fabrique du numérique vue par le trou de serrure, L’œuvre ou le livre”

Image de une Gileslane sur Flickr

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Le livre électronique et les chroniqueurs papier http://owni.fr/2010/02/16/le-livre-electronique-et-les-chroniqueurs-papier/ http://owni.fr/2010/02/16/le-livre-electronique-et-les-chroniqueurs-papier/#comments Tue, 16 Feb 2010 09:31:31 +0000 Serge-André Guay http://owni.fr/?p=8255 Nouvel auteur sur Owni.fr, Serge-André Guay, président éditeur de la Fondation littéraire Fleur de Lys au Québec, démonte les arguments anti-livre électronique avancés par des chroniqueurs papier et invite à dépasser le clivage entre les deux supports.

En moins d’une semaine, deux chroniqueurs de (journaux) papier sont tombés à bras raccourcis sur les promesses accompagnant l’arrivée du livre électronique. Jean Larose a exprimé sa crainte face à la lecture sous l’influence du livre électronique dans un texte intitulé «L’Avent du livre électronique» publié en fin de semaine dernière dans le quotidien LE DEVOIR. Steve Proulx a écrit que le livre électronique est un simple gadget qui ne donnera pas nécessairement naissance à une nouvelle génération de lecteurs dans un billet publié hier sous le titre «Ceci n’est pas une révolution» dans l’hebdomadaire culturel VOIR. Certes, on ne saurait pas reprocher à ces chroniqueurs papier de s’inquiéter de l’avenir de la lecture au sein de la population.

Mais situer cette inquiétude pour la lecture dans le contexte du livre électronique opposé au livre papier n’est pas utile. «Qui, aujourd’hui, est à ce point rebuté par le livre imprimé, au point d’attendre qu’un appareil plus commode soit mis en marché pour, enfin, s’adonner au plaisir de la lecture?» demande Steve Proulx. Là n’est pas la question. On ne choisit pas le livre numérique parce que le livre papier nous rebute, chacun ayant ses propres avantages. Pour les uns, le livre papier possède des avantages indéniables sur le livre électronique et, pour les autres, c’est le contraire. Qui peut se permettre de dire que les uns ont raison et que les autres ont tort ? Personne, surtout pas dans un monde où le libre choix se présente comme un gain historique pour la démocratie. Évidemment, chacun de nous a droit à son opinion mais encore faut-il qu’elle soit bien éclairée, surtout lorsqu’elle a une portée médiatique au sein de la population.

Steve Proulx écrit : «On dit du livre électronique qu’il démocratise le livre, car les titres sont moins coûteux (ce qui compense le coût de l’appareil). Ceux qui sont préoccupés par ce genre de considérations budgétaires seront certainement ravis d’apprendre qu’il est possible d’avoir accès, gratuitement, à des milliers de livres imprimés grâce à des lieux que l’on nomme “bibliothèques publiques”.» Or, depuis la commercialisation du livre et malgré le développement des réseaux de bibliothèques publiques, il y a des gens qui préfèrent acheter plutôt qu’emprunter les livres de leur choix. Pourquoi les ridiculiser ? La vente en ligne sur Internet de livres numériques est une nouvelle option qui satisfait certains lecteurs. Pourquoi la dénigrer ?

Qui plus est, se rendre à la bibliothèque publique la plus proche demeure difficile pour plusieurs personnes. Il y a ceux qui habitent trop loin pour s’y rendre à pied, ceux qui n’ont pas de bicyclette, ceux dont la mobilité est réduite,… Il faut donc compter les coûts de l’usage de l’automobile ou du transport en commun. À Montréal, la personne doit débourser 5.50$ pour l’aller-retour en autobus. Puis un autre 5.50$ pour retourner le livre à la bibliothèque. La dépense totalise 11.00$. Et il faudra ajouter un autre 5,50$ si le livre désiré n’est pas à la bibliothèque et qu’il faut le faire venir d’une autre succursale, ce qui implique un autre aller-retour à la bibliothèque pour prendre livraison du livre. Le coût total du transport en commun s’élève alors à 16.50$. Et dans le cas d’un déplacement en automobile, il faut ajouter, le cas échéant, le coût du stationnement. Bref, il y a sur Internet des exemplaires numériques pour moins chers accessibles dans le confort de son foyer. Le chroniqueur Steve Proulx doit se rappeler que si l’accès aux bibliothèques publiques est gratuit, encore faut-il assumer les coûts de déplacement.

La population est vieillissante et, à un certain âge, on compte sur tout ce qui peut nous faciliter la vie. Je crois que cela n’est pas étranger au fait que la clientèle de la librairie en ligne JeLis.ca soit majoritairement composée de Baby Boomers, selon Bruno Caron, directeur, Développement Web et Services aux Institutions et Entreprises du Groupe Archambault. Le fait ne me surprend pas car la clientèle de la maison d’édition et de la librairie en ligne de la Fondation littéraire Fleur de Lys est également composée majoritairement de Baby Boomers.

Enfin, le jour n’est pas si loin où les bibliothèques publiques ajouteront à leur offre papier le prêt d’exemplaires numériques voire de livres électroniques. Il faut se rappeler que l’espace n’est pas illimité dans nos bibliothèques.

Le livre électronique peut contenir plusieurs livres. À ce sujet, Steve Proulx écrit : «dans la mesure où rares sont les gens qui lisent 100 livres simultanément, l’utilité de traîner avec soi une bibliothèque complète reste à être démontrée.» L’utilité du livre électronique dans le cas où l’on a téléchargé 100 livres numériques saute aux yeux. Où mettre ces 100 livres numériques ? Dans son livre électronique. L’idée n’est pas «de traîner avec soi» mais de conserver et d’avoir à sa disposition les livres de sa bibliothèque numérique. Et puis, qui achètent 100 livres d’un coup, même en format numérique ? Le chroniqueur serait sans doute le premier à dénoncer le livre électronique s’il ne pouvait contenir qu’un seul livre à la fois.

Lorsque la compagnie Apple a annoncé qu’elle travaillait à la conception d’un livre électronique, plusieurs personnes ont cru que ce dernier révolutionnerait le monde du livre comme le baladeur de la compagnie (iPod) et sa boutique de musique en ligne (iTune) avaient révolutionné le monde du disque. Or, les enjeux diffèrent d’un monde à l’autre et Steve Proulx a bien raison de le souligner. L’arrivée de l’iPod et d’iTune a permis la vente des chansons à la pièce mettant ainsi fin à l’obligation d’acheter un album complet pour accéder à une seule chanson.

Mais la comparaison faite par Steve Proulx avec le monde du livre manque de rigueur. Il écrit : «les livres sont vendus “à la pièce” depuis toujours. On n’est pas forcé d’acheter toute l’œuvre d’Agatha Christie si seul Dix Petits Nègres nous intéresse.» Certes, mais qu’en est-il lorsqu’un seul chapitre d’un essai nous intéresse ? On trouve donc sur Internet des distributeurs spécialisés qui peuvent nous vendre un seul chapitre d’un essai. Une offre très pratique dans le milieu scolaire. Mais il n’en demeure pas moins que les enjeux ne sont pas les mêmes, non seulement dans le domaine du disque et celui de la musique, mais aussi d’un appareil à un autre. Les enjeux d’un baladeur musical électronique et d’un livre électronique ne se comparent pas. En réalité, la révolution associée au livre électronique d’Apple se référait à une simple image, celle engendrée par son baladeur musical électronique, et non pas aux propriétés des appareils et des offres en ligne comme le fait le chroniqueur Steve Proulx.

Il faut porter aux détails une attention spéciale pour se faire une opinion éclairée (ou éclairer les autres). Selon Steve Proulx, le seul avantage du livre électronique est la possibilité de lire dans le noir. C’est faux à l’exception du livre électronique d’Apple.

En premier lieu, il faut savoir que l’appareil lancé par Apple permet la lecture de livres numériques mais cette propriété n’est que l’une des options offertes. Autrement dit, le iPad d’Apple n’est pas un livre électronique comme le sont les précédents. Les autres livres électroniques offrent uniquement des options liées à la lecture et au téléchargement de livres numériques. Dans le cas d’Apple, il faut parler davantage d’une tablette de lecture voire d’un ordinateur portable, à la différence près qu’on ne peut pas opérer plusieurs logiciels à la fois. D’ailleurs, dans sa publicité de l’iPad, Apple ne parle pas de lecture de livre et de livre électronique proprement dit mais de lecture de texte et affiche une page de journal.

Le grand écran Multi-Touch d’iPad vous permet de visualiser les pages web comme elles doivent l’être : une page entière à la fois. Avec des couleurs éclatantes et un texte d’une extrême précision. Que vous consultiez alors une page en mode portrait ou en mode paysage, tout s’affichera dans un format totalement lisible. Avec iPad, la navigation sur le Web n’a jamais été plus facile, ni plus intuitive. Pourquoi ? Parce que vous utilisez le dispositif de pointage le plus naturel qui soit : votre doigt. Vous pouvez parcourir une page en effleurant l’écran vers le haut ou vers le bas ou pincer l’écran avec deux doigts pour zoomer dans une photo. Une vue par vignettes affiche également toutes vos pages ouvertes sous forme de grille, pour vous permettre de passer plus rapidement de l’une à l’autre.

Publicité Apple

Le lancement de l’appareil la semaine dernière aurait dû inspirer nos chroniqueurs papier à réajuster le tir puisqu’il ne s’agit pas d’un livre électronique mais d’une tablette de lecture. On peut y lire un livre mais ce n’est pas la fonction principale de l’appareil. L’iPad ne peut donc pas engendrer une révolution dans le monde du livre électronique puisqu’il n’en est pas un. Encore un manque de rigueur déployé au sein de la population par un chroniqueur papier. Car lorsque Steve Proulx écrit «Ceci n’est pas une révolution», il parle des livres électroniques en référence à un appareil qui n’en est pas un. Le titre aurait dû être : «Ceci n’est pas un livre électronique».

L’appareil d’Apple permet de lire dans le noir parce qu’il «dispose d’un écran IPS rétroéclairé par LED» (Source) L’appareil génère son propre éclairage. Dans le cas d’un livre électronique, on utilise plutôt un écran à base d’encre électronique. Le livre électronique ne génère pas sa propre lumière. Tout comme le livre papier, il fait appel à la lumière ambiante. Le chroniqueur Steve Proulx commet donc une erreur en écrivant que le seul avantage du livre électronique est la possibilité de lire dans le noir. On appelle cela de la généralisation à outrance. Manque de rigueur, quand tu nous tiens.

* * *

Personnellement, je crois que les opinions de plusieurs des chroniqueurs de nos médias écrits sont biaisées par le PAPIER lorsque le temps vient d’aborder des sujets numériques.

» Article initialement publié sur Le monde du livre sur Internet, le magazine en ligne de la Fondation littéraire Fleur de Lys

» Photo d’illustration pixpoils sur Flickr

>e magazine en ligne de la Fondation littéraire Fleur de Lys

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