OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 De Woodstock au Printemps de Bourges-Crédit Mutuel http://owni.fr/2011/05/04/de-woodstock-au-printemps-de-bourges-credit-mutuel/ http://owni.fr/2011/05/04/de-woodstock-au-printemps-de-bourges-credit-mutuel/#comments Wed, 04 May 2011 15:08:59 +0000 Hélène David http://owni.fr/?p=31725

From now on, it’s a free concert.

Nous sommes en fin de journée, ce 15 août 1969. L’organisateur qui prononce cette phrase (« dorénavant, le concert est gratuit »), devant près de 500.000 festivaliers, ne se doute pas de l’engouement historique que va susciter ce Woodstock Music and Art Fair.

L’ambiance est à l’antimilitarisme, au flower power, à l’utopie collective. Ces trois jours auront vu se produire les meilleurs musiciens que compte alors l’Amérique. Et lorsque les barrières tombent, sous la masse des spectateurs, l’événement qui allait être le cœur du « summer of love », en plus d’être fondateur de la culture pop-rock, allait être gratuit.

Cette gratuité n’est pas tant à mettre sur le compte d’un désintéressement financier de l’organisation que sur leur débordement face au torrent des festivaliers, combiné à une ambiance de “paix et d’amour” qui laissait penser que tout était possible. A vrai dire, en 69 non plus, on n’organisait pas un festival de cette ampleur sans espérer glaner quelques dollars.

Un an plus tard, au sud de l’Angleterre, le festival de l’Ile de Wight accueille lui aussi des centaines de milliers de spectateurs. Quelques heures après le début des festivités, les palissades installées pour éviter aux resquilleurs de ne pas payer les trois livres d’entrée tombent à leur tour. Le mécontentement des festivaliers a eu raison de l’organisation. Les concerts seront gratuits. (Voir les images d’archive)

L’innocence perdue de la production

Dans une interview [EN] accordée en 2003 au quotidien turc Hürriyet, Michael Lang, l’organisateur de Woodstock et de plusieurs autres festivals, expliquait ce qui à ses yeux, avait changé depuis cette époque :

La chose qui a le plus changé, c’est que l’on vit dans un monde beaucoup moins innocent.

Trente ans après l’édition mythique de Woodstock 1969, le concert anniversaire de 1999 accueillait près de 600.000 spectateurs, probablement attirés par l’idée de toucher du doigt cette innocence perdue. Tarif : 150 dollars pour les trois jours.

Quant au festival de l’Ile de Wight, c’est 150 livres (pour les non campeurs) qu’il faudra débourser cette année pour assister aux concerts de Kasabian, Foo Fighters ou encore Beady Eye (ou Oasis recyclé). Aussi prestigieux soient-ils, les festivals sont devenus une industrie à part entière. Il n’y a guère qu’en France qu’on semble encore s’en cacher.

Lorsqu’en 2008, le mastodonte Live Nation [EN] -entreprise organisatrice de concert et tourneur-, prend le contrôle du Main Square Festival, les critiques se font entendre. Elles sont relayées en avril 2010 dans Le Monde, dans un article intitulé “La France conquise par Live Nation, numéro 1 du spectacle”:

Cette structure de douze salariés (dont plusieurs débauchés chez la concurrence) gère sur le territoire français le catalogue international du groupe – qu’il s’agisse des artistes signés “globalement” par Live Nation (Madonna, U2, les Rolling Stones, Jay-Z, Shakira…), suivant le principe des contrats à 360° incluant la scène mais aussi le disque et le merchandising, ou des tournées achetées au coup par coup, comme celles de Rihanna ou Lady Gaga. Sur ce créneau, la concurrence est rude pour les producteurs français. “Difficile de lutter quand il s’agit de deals internationaux“, admet Salomon Hazot, patron de la société Nous Productions, qui a récemment perdu divers artistes au profit de Live Nation.

La culture fast-food, à la sauce rock

Certains -rares- irréductibles boycottent ce genre d’organisation. Fan de la première heure de Kasabian, Delphine, pourtant lilloise, n’ira pas assister au concert de ses idoles cet été à Arras, parce qu’elle désapprouve le fonctionnement du tourneur :

Par principe, je boycotte Live Nation. Sauf exception. Parce que bon, puisqu’ils contrôlent 90% du marché, pas facile d’y échapper…

Les autres, pour la plupart, s’en fichent comme de l’an 40, ou se rendent simplement à l’évidence: la musique est un business. Benoît Sabatier est de ceux là. Rédacteur en chef adjoint de Technikart, habitué des festivals depuis ses plus jeunes années et spécialiste de la culture pop, il ne se fait plus d’illusion sur la nature de ces grands rassemblements dont il reste friand, mais qu’il nomme, sens de la formule oblige, “parcs d’attraction bien taxés avec déglingue tolérée”:

Les festivals, c’est le relevé des comptes de l’industrie. Une affiche se monte à coup de billets. On paye, on pointe, on se baffre, on enchaîne les groupes. C’est le côté fast-food du rock. Fast-rock : on bouffe un peu de Strokes, un bout d’Arcade Fire, une aile de Massive Attack, on arrose de Soulwax et on fait passer avec des rasades de Queens of the Stone Age… Dans un festival, la musique est un prétexte. C’est la colonne vertébrale, mais ce qu’on en retient à l’arrivée, c’est aussi comment était la bière, qui on a rencontré, où on a dérapé et comment on a fini. Niveau musique, un festival fait plus business parce que cette sortie rejoint celle que font les familles à Disneyland. Il y a un prix d’entrée, et il faut mettre sa main à sa poche pour toutes les animations annexes.

Le rock dépolitisé

On le sait, la musique est une industrie. Le live en est l’un des piliers. L’innocence des hippies de 69 s’est probablement évaporée, mais ce n’est pas tout. Notre rapport à la musique, la façon dont on la “consomme” et ce qu’on y investit ont complètement changé. C’est ce qui explique aussi en partie l’évolution des grandes messes du rock depuis les années 60.

Aux chansons folk des années 60-70, qui invitaient à une prise de position politique et conduisaient tous ses amateurs à se ranger aux grandes idées de la jeunesse hippie de l’époque, ont succédé des groupes souvent meilleurs musicalement, mais détachés de tout engagement politique.

La jeunesse de Woodstock reprenait le “give me a F, give me a U, give me a C, give me a K” de Country Joe McDonald, exprimant ainsi son opposition résolue à la guerre de Vietnam. Le top de l’engagement aujourd’hui, ce sont les néons “eco-friendly” de Radiohead, ou les verres recyclables. Les Dylan, Baez ou Hendrix d’hier ont été remplacés par de gentilles icônes pop ou des méga groupes qui envoient des décibels, mais ne font plus de discours.

C’en est fini du rock comme propulseur d’une idéologie politique, censé être en totale déconnexion avec l’idée même de faire de l’argent.  Aujourd’hui, le rock sert aussi à faire de l’argent. Ou plutôt, comme l’explique Benoît Sabatier de Technikart, on a cessé de se mentir à ce sujet:

Dans les années 60-70, le rock est lié au gauchisme. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le rock, s’il reste de gauche, est un produit totalement lié au libéralisme. Il l’est à la base: Elvis et les Beatles étaient soumis à la loi du marché, mais dans les années contre-culture, 60-70, le rock devait, de façon soit utopique, soit hypocrite, faire comme si régnait le désintéressement face à l’affreux Dieu dollar. Surtout dans les Festivals. Vu d’aujourd’hui ça semble dingo: un festival, dans les sixties, devait être gratuit. Le public de hippies trouvait inconcevable, anti-rock, de devoir payer un droit d’accès. Il y avait une pression énorme. Il pouvait y avoir une part d’opportunisme, (notamment les festivals gratuits pour vendre plus de disques payants), mais aussi un vrai côté généreux, communautaire, festif, anti-matérialiste. C’était logique, idéologique. Progressivement l’industrie a vu dans les seventies que le rock n’était pas une mode éphémère mais un entertainment juteux: à partir des années 80, l’idée de gratuité des Festivals était un souvenir fumeux et chevelu.

Le côté festif est resté intact. Les concerts ont valeur d’entertainment. L’idéologie et la contestation qui leur étaient autrefois associés ont disparu. Une révolution digne des années 70, pour que les barrières tombent et les artistes jouent gratuitement, est-elle encore possible? Réponse de Benoît Sabatier:

Non. Il existe encore des petits festivals gratuits, qui fonctionnent grâce à des subventions, mais autrement tout le monde a accepté le fait que si on veut voir un artiste il faut passer à la caisse. C’est quand même normal : maintenant que l’on a trouvé comment pirater les disques, le live reste un dernier rempart pour qu’ artistes et industries puissent vivre de leur boulot.


> Benoît Sabatier a signé une édition poche et actualisée de “Nous sommes jeunes, nous sommes fiers“.  “Culture jeune – l’épopée du rock” paraîtra le premier juin aux éditions Fayard/Pluriel.

> Illustrations: Image de clé FlickR CC ketou, affiche du festival de Woodstock dbking

Vous pouvez retrouver nos articles sur le dossier festivals : Jeunes artistes : laissez-les chanter et Festivals cherchent finances

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Festivals cherchent finances http://owni.fr/2011/04/29/festivals-cherchent-finances/ http://owni.fr/2011/04/29/festivals-cherchent-finances/#comments Fri, 29 Apr 2011 13:34:21 +0000 Hélène David http://owni.fr/?p=59198 Avril. Le début des beaux jours et avec eux, le début de la saison des festivals. Des instants hors du temps pendant lesquels, loin de Fukushima et des débats électoraux, on ne se préoccupe que de trois choses : la température de la bière, la capacité d’une tente à effectivement « s’installer en deux minutes », et surtout, la musique, les concerts, les artistes auxquels on décide consciemment de confier nos futures acouphènes. Des réunions bon enfant dont feu les White Stripes constituent la bande son, et qui nous feraient presque oublier qu’il s’agit aussi d’une histoire de gros sous.

Ces festivals s’appuient sur des budgets colossaux :

Désengagement public

Leur financement repose sur la billetterie, les subventions publiques, les partenariats privés, et dans une moindre mesure, le mécénat.

Et si les organisateurs refusent pour la plupart de communiquer le détail de ces chiffres, arguant pour les uns qu’il s’agit de “données confidentielles“, pour les autres, comme Solidays, que l’on “peut faire dire ce que l’on veut à des chiffres“, la tendance majoritaire est claire. Les subventions publiques diminuent.

En cause, la décentralisation et la suppression de la taxe professionnelle. Cette année, la subvention accordée par le Pays de Montbéliard agglomération aux Eurockéennes a été divisée par deux, passant de 100.000 euros en 2010 à 50.000 en 2011. Emmanuel Oudot, directeur de la culture et du patrimoine de la communauté d’agglomération, s’en explique:

Nous sommes obligés de faire des choix drastiques. Je ne connais pas beaucoup de collectivités territoriales qui ne sont pas confrontées à ce problème.

Pour le festival Europavox, qui se tient chaque été en Auvergne, le département s’est retiré il y a deux ans. Les subventions de la commune ont diminué de 40% cette année. Et d’autres baisses ont déjà été actées pour l’année prochaine.

Même constat du côté du Printemps de Bourges. En deux ans, l’aide du Cher est passée de 200.000 euros à 150.000 euros. “Le Cher fait partie des départements qui ont eu des grosses difficultés”, explique Michel Bourumeau, directeur de la culture du Conseil général.

En 2011, le financement du festival berruyer reposait tout de même à près de 37% sur les institutions publiques, et en grande partie sur la commune de Bourges et le ministère de la Culture, qui comme le rapporte Le Monde, a pris en charge les subventions allouées au Printemps de Bourges :

Alors que Les Francofolies de La Rochelle, par exemple, ont la direction régionale des affaires étrangères (DRAC) de Poitou-Charentes pour interlocuteur, le Printemps de Bourges s’adresse en direct aux services de Frédéric Mitterrand. Un cas unique pour les musiques populaires. Pour 2011, le ministère de la Culture a alloué 340.000 euros au festival et 230.000 euros pour le réseau Printemps qui débusque les nouveaux talents.

Les financements publics du Printemps de Bourges se décomposent comme le montre ce diagramme (qui ne tient pas compte des soutiens en nature tels que la sécurité, l’éclairage, les transports (etc.) de la commune de Bourges et de la communauté d’agglomération) :

Dans le meilleur des cas, les subventions restent stables d’une année sur l’autre. C’est le cas cette année pour Rock en Seine. L’un des organisateurs explique que le soutien institutionnel au festival représente 18% du budget total de 5,2 millions d’euros, et se décompose comme suit :

Le financement public de Rock en Seine repose en grande partie sur la région Ile de France, partenaire historique et principal du festival.

Quelles solutions?

Pour pallier la diminution des subventions, la marge de manœuvre des organisateurs est limitée. La billetterie ne constitue un levier qu’en dernier ressort. Augmenter le prix des places de manière substantielle peut être un calcul fatal à la fréquentation des festivals entre lesquels la concurrence est rude. Reste les partenariats privés ou les subventions indépendantes des collectivités territoriales.

La SACEM, notamment, alloue des subventions. En 2011, le budget dédié au soutien des festivals a augmenté de 10% par rapport à l’année dernière, et s’élève à 3,7 millions d’euros. Olivier Bernard, directeur de l’action culturelle explique :

Les festivals font de plus en plus appel à nous pour pallier la diminution de l’engagement des collectivités territoriales, ou dans le meilleur des cas leur stagnation.

Une tendance qui ne va pas sans poser question, puisque “les sociétés d’auteurs n’ont pas vocation à pallier les carences des finances publiques“, explique Olivier Bernard.

Le Printemps de Bourges, aidé à auteur de 75.000 euros par la SACEM a surtout eu recours au secteur privé, et en particulier au Crédit Mutuel. Daniel Colling, directeur du festival, s’en est expliqué :

La région Centre et le département du Cher ont diminué leurs subventions. Pour compenser cette diminution, notre festival a fait le choix d’élargir son partenariat privé.

Chimérique indépendance

Un partenariat important, qui a permis à la banque de s’immiscer dans le logo du festival. L’événement s’appelle désormais “Printemps de Bourges Crédit Mutuel”. Et si à la mairie de Bourges, on assure que “la nouvelle appellation passe complètement inaperçue”, la question de l’indépendance artistique du festival s’impose.

D’autant plus qu’il y a eu des précédents, avec les collectivités territoriales cette fois. En 2009, le Conseil régional de Centre avait conditionné sa subvention de 350.000 euros au retrait de la programmation du rappeur Orelsan. (Voir la vidéo de son titre “Sale Pute”, âmes sensibles s’abstenir.)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le Conseil régional avait appelé le festival à “prendre ses responsabilités“. Et face à l’entêtement des organisateurs à ne pas faire acte de censure, la région avait finalement décidé de rester partenaire du festival, tout en mettant en place des “modalités pour ne pas participer au financement de ce concert“.

En l’occurrence, Daniel Colling assure que le partenariat conclu avec le Crédit Mutuel est né d’une relation de confiance, et justement destiné à préserver la qualité du festival, à éviter une augmentation du prix des billets, et à mettre à l’abri le Printemps de Bourges pour les trois années à venir.

Certains partenaires privés pourtant, peuvent être tentés d’intervenir dans la programmation. Mathieu Ducos revendique une indépendance artistique totale même s’il a déjà constaté des tentatives de certains de prendre part à la programmation :

Il y a une frontière très nette entre l’implication des partenaires et la ligne artistique du festival. Certains partenaires qui prennent part à des plateformes de découverte sont tentés de mettre sur scène des artistes qui y jouent. Mais on a toujours lutté contre ça.

Et l’ingérence des partenaires peut aussi se jouer sur d’autres terrains que la programmation. L’an dernier aux Francofolies de la Rochelle, dans le cadre d’une opération de communication, la marque Repetto a offert une paire de chaussures à chacun des artistes, en les “invitant” à les porter sur scène. L’objectif: acquérir un maximum de visibilité.

Loin des chaussures de danseuses, le Hellfest Open Air, festival dédié au métal, estime pour sa part jouir d’une totale indépendance. Sur un budget total de 5 millions d’euros, les subventions publiques ne s’élèvent qu’à 40.000 euros (20.000 euros de la région, 20.000 euros du département), soit 0,8% du budget total. Jeff Manet, l’un des organisateurs du festival ne serait pas contre une aide plus importante mais explique :

Le fait que ce soit un festival de métal, pour les subventions, ca aide pas vraiment.

Rares sont en effet les entreprises qui souhaitent s’associer à l’événement prétendument sulfureux, contre lequel “des catholiques intégristes s’opposent tous les ans“. C’est donc la billetterie qui finance -à 90 % estiment les organisateurs- ce festival unique en son genre en France, grâce à un public captif. Les inconditionnels de métal sont prêts à payer un peu plus cher pour aller écouter Ozzy Osbourne ou Judas Priest. 129 euros en 2010 pour les trois jours, 10 euros de plus cette année.

Mais qu’il s’agisse d’une programmation très spécialisée comme celle du Hellfest, de variété ou de pop, ce sont bien les festivaliers qui exercent la plus grande pression sur les festivals. L’impératif absolu des programmateurs reste toujours d’attirer un maximum de spectateurs et de répondre à leurs attentes, en trouvant un juste milieu entre têtes d’affiche et découvertes. En cela, la question de l’indépendance est forcément illusoire.

>Illustration Flickr par RambergMediaImages

Vous pouvez retrouver nos articles sur le dossier festivals : Jeunes artistes : laissez-les chanter et C’était mieux avant ?

Image de Une Mick ㋡rlosky

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