OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le Parti pirate tunisien sort de l’ombre http://owni.fr/2011/07/09/itv-le-parti-pirate-tunisien-sort-de-lombre/ http://owni.fr/2011/07/09/itv-le-parti-pirate-tunisien-sort-de-lombre/#comments Sat, 09 Jul 2011 10:14:09 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=73142

À Tunis nous avons rencontré Salah Eddine Kchouk, président du Parti Pirate Tunisien (PPT), la formation politique des cultures numériques, qui revendique l’héritage de la révolution de janvier. Ancien militant de l’UGET (l’organisation étudiante à l’origine de nombreuses manifestations réclamant le départ de Ben Ali), Salah Eddine Kchouk avait été arrêté le 6 janvier 2011 pour ses activités sur le net. Après ses prises de position critiques contre Slim Amamou, la semaine dernière, il dévoile la stratégie du Parti Pirate pour les prochains mois.

À quoi ressemble votre formation politique ?

Le Parti Pirate est un parti de troisième génération ayant comme but de reconstruire la société civile mais aussi d’être un vrai contrepoids au régime. En effet, après les partis classiques (fondés sur des distinctions dans les relations au travail et au patrimoine), le monde a connu une deuxième génération de partis avec les écologistes (fondés sur des distinctions dans les relations à l’environnement). Puis, dans le monde entier, des citoyens ont souhaité défendre la liberté de l’information et de la culture, provoquant l’apparition de partis pirates (fondés sur des distinctions dans les relations au patrimoine culturel).

Avec les idées que nous défendons en matière de liberté et de circulation de l’information, nous sommes là pour promouvoir les valeurs d’une nouvelle citoyenneté, avec le désir de consolider la société civile, longtemps faible en Tunisie.

Le parti pirate Tunisie a été fondé en 2010 par un ensemble de cyber-citoyens tunisiens qui ont milité contre le régime de Ben Ali. Nous avons décidé de donner à notre parti une dimension légale, qui soit en mesure de défendre les vrais intérêts du peuple.

“Le peuple, qui reconnaît déjà notre rôle dans la chute du dictateur, reconnaîtra peu à peu notre utilité”

Pensez-vous que l’opinion est vraiment sensible à cette troisième génération que vous affirmez incarner ?

Le Parti Pirate est une nouvelle expérience dans la vie politique. Je crois qu’il convaincra par ses pratiques et par les causes défendues, qui le différencient des autres partis. Nous agissons dans l’espace virtuel dans le but de divulguer plus d’informations, et dans le champ politique afin de régler des défaillances et des injustices. En d’autres termes, nous ne cherchons pas à agir en tant que parti politique mais en tant que régulateur de la vie politique. Le peuple, qui reconnaît déjà notre rôle dans la chute du dictateur, reconnaîtra peu à peu notre utilité.

Vous n’avez pas l’intention de participer au pouvoir ?

L’objectif du Parti Pirate est de faire parler la société elle-même, nous considérons que peuple n’a pas besoin d’intermédiaires pour s’exprimer. Notre peuple est majeur et intelligent et il peut s’exprimer et défendre ses intérêts.

Vous contestez le rôle des partis politiques ?

Pas toujours, mais bien souvent les partis politiques classiques ne représentent pas le peuple. Ils représentent d’abord leurs idéologies et leurs intérêts.

Sur des sujets politiques, le virtuel peut-il à lui seul influer sur la réalité ?

Le virtuel influence le réel par la formation de communautés qui agissent ensuite dans la réalité. Dans le cas de la Tunisie, nous avons commencé lors des événements touchant le bassin minier, en 2008. Notre influence n’était pas encore importante. Mais dès les événements de Bingarden nous avons développé notre action, ce qui a permis aux internautes de jouer un rôle fondamental dans la chute du ZABA.

“Nous ne cherchons pas à obtenir des places confortables dans la constituante, ce n’est pas notre objectif”

L’officialisation de votre parti marque la fin de votre anonymat, cette évolution modifie en profondeur votre démarche.

Il faut nuancer. Au sein du parti, d’autres personnes conservent leur anonymat pour continuer à mener des actions confidentielles en faveur de la divulgation de l’information.

Quelles sont vos relations avec les autres partis pirates, en dehors de la Tunisie ?

Nous faisons partie de la communauté internationale des partis pirates -dont leur nombre est proche de 50-, au niveau des principes. Nous échangeons nos idées, nos cultures et les technologies dont nous avons besoin. En revanche notre collaboration ne concerne pas le côté financier ni la nature des actions que nous menons en Tunisie.

Quel est votre plan pour les prochaines élections ?

Nous agirons sur deux plans. Le premier consiste à instaurer un système de contrôle de proximité des élections par le biais des nouvelles technologies. Le second consiste participer en tant que candidats. Un ou deux membres seront suffisants. Nous ne cherchons pas à obtenir des places confortables dans la constituante, ce n’est pas notre objectif.

Comment évaluez-vous la transition démocratique en Tunisie ?

La transition démocratique est lente à cause des pratiques des partis politiques, lesquels cherchent en priorité à obtenir leur part du gâteau. Il faut que les partis s’attellent aux vrais problèmes et qu’ils stimulent un tissu associatif, seul garant d’une vraie transition démocratique. La transition démocratique est la responsabilité des partis politiques puisque le régime ne peut pas changer de sa pleine volonté mais plutôt par l’obligation, et c’est là ou réside le rôle des partis. Je ne crois pas que le régime ait chuté. C’est plutôt Ben Ali qui s’est enfui.


Cet article a initialement été publié sur OWNI Maghreb

]]>
http://owni.fr/2011/07/09/itv-le-parti-pirate-tunisien-sort-de-lombre/feed/ 9
“Le problème du ministère de l’Intérieur, c’est le problème de la Tunisie” http://owni.fr/2011/05/31/interview-slim-amamou-demission-tunisie/ http://owni.fr/2011/05/31/interview-slim-amamou-demission-tunisie/#comments Tue, 31 May 2011 13:48:31 +0000 Olivier Tesquet et Guillaume dasquié http://owni.fr/?p=65473 Slim Amamou, star de la révolution tunisienne, s’explique sur sa démission surprise, le 23 mai dernier, de son poste de Secrétaire d’État au sein du gouvernement de transition, lors d’un entretien exclusif avec OWNI (lundi 30 au soir, à Paris). Ce militant de 33 ans, héraut de la jeunesse tunisienne, dénonce un climat politique délétère, marqué par des dérives conspirationnistes. Lesquelles se multiplient d’autant plus facilement qu’une partie de l’appareil d’État demeure opaque, près de cinq mois après la révolution. Slim Amamou révèle en particulier que la police politique et les services de sécurité du ministère de l’Intérieur échappent encore aux efforts de classification et d’identification du gouvernement de transition.

Depuis la semaine dernière, vous ne vous êtes pas vraiment expliqué sur les motifs de votre démission. Sur la base de quels éléments avez-vous décidé de quitter le gouvernement ?

Il y a d’abord eu les déclarations conspirationnistes de Farhat Rajhi, l’ancien ministre de l’Intérieur, qui ont déclenché des émeutes dans la rue. Des manifestations ont été réprimées très violemment par la police à Tunis, des journalistes ont été tabassés. Après avoir mûrement réfléchi, j’ai présenté ma démission au président. Mon problème, c’est que la situation était très grave. Les gens dans la rue exigeaient la chute du gouvernement, ce qui impliquait que les élections soient retardées, ce que je ne voulais absolument pas. Le président a refusé ma démission en invoquant cette raison-là, en me disant que j’allais laisser le gouvernement dans une position difficile, et en me demandant de réfléchir encore.

J’ai tenu mes engagements immédiats, j’ai réfléchi encore, et j’ai rappelé le président pour lui confirmer ma décision. J’ai démissionné un vendredi, et j’avais une émission de radio prévue le lundi matin (sur Express FM, ndlr). Le président voulait que je lui laisse le temps de parler avec le Premier ministre, et que je ne m’exprime pas sur le sujet avant le lundi soir. Là-dessus, le présentateur radio m’apostrophe en me demandant si ma mission en Tunisie est terminée. Je lui réponds que oui, et je lui annonce que je vais démissionner. L’information est sortie, les gens ont commencé à la tweeter, et les 140 caractères aidants, “Slim va démissionner” est devenu “Slim a démissionné”. J’ai aussi commencé à lire que j’avais quitté mes fonctions pour les mêmes raisons que Rajhi, parce que je croyais à l’existence d’un gouvernement de l’ombre.

Et alors, il existe ce cabinet noir?

Absolument pas. Les gens pensent qu’il existe parce que le système de confiance ne marche pas en Tunisie. On a vécu dans une société complètement corrompue par le régime de Ben Ali, et pour rebâtir cette confiance, on ne peut pas aller trop vite. La manière rapide, c’est la délégation d’autorité, quand vous décidez de faire confiance à quelqu’un. Mais comme le terreau n’existe pas en Tunisie, il faut y aller par la seconde méthode, qui est “l’historique”. A force de côtoyer les gens, de les suivre, au bout de 6 mois ou un an, on commence à leur faire confiance.

Quels éléments tangibles permettent d’affirmer qu’il n’existe pas de cabinet noir?

Il y a quelqu’un qui a essayé de faire croire que quelqu’un manipulait le Premier ministre. J’ai travaillé avec ce mec, je sais que c’est faux. Bien sûr, il y a du lobbying, des intérêts, des groupes de pression.

Plusieurs avocats tunisiens estiment que les propos tenus sont exagérés dans la forme, mais qu’il existe un vrai problème, notamment parce que l’administration de la police politique n’a pas été démantelée. Qu’en pensez-vous?

Le problème du ministère de l’Intérieur est le problème de la Tunisie. C’est le ministère de la force publique, et ils ont le pouvoir réel: même en nommant un ministre bien intentionné, il n’a pas les armes. Rajhi s’est fait attaquer dans son propre ministère par les agents, il s’est fait sortir par l’armée.

Alors qui dirige vraiment le ministère de l’Intérieur ?

Le nouveau ministre (Habib Essid, ndlr) a prouvé son efficacité. Après les exactions de la police consécutives aux propos de Rajhi, il s’est excusé, pour la première fois dans l’histoire du ministère de l’Intérieur, et le lendemain matin, il n’y a eu aucun débordement. Il a prouvé qu’il pouvait reprendre la main, notamment par le biais des hauts gradés. Aujourd’hui, je pense que la situation est sous contrôle. On ne peut pas virer tous les pourris d’un seul coup, et il va falloir composer avec la situation.

Qui dirige ces individus ?

On ne sait pas. On n’arrive déjà pas à faire la différence entre la vraie police et la fausse. Des manifestants se sont fait tabasser par de faux policiers sous les yeux de vrais agents qui ne sont pas intervenus.

Aujourd’hui, a-t-on une idée précise du nombre de services de sécurité et de renseignement qui dépendent du ministère de l’Intérieur?

Le ministre dit qu’il y a exactement 54 000 agents. On ne connaît pas le nombre de services, mais ce qui est frappant, c’est qu’ils sont hermétiques. Ils se sont réorganisés d’une manière très étrange, comme une cellule terroriste de type Al-Qaida. Apparemment, le seul lien qui les unit, c’est le téléphone portable, avec lequel ils entretiennent un rapport très particulier. Pendant l’interrogatoire lors de mon arrestation, ils allumaient leur téléphone au moment de s’en servir, et l’éteignaient quand ils avaient fini. Quand ils en avaient besoin, ils recevaient le nom et le numéro de l’agent qu’ils cherchaient à joindre. Vous imaginez à quel point ce système est décentralisé et archaïque? Pendant mon interrogatoire, les fonctionnaires avaient un pseudonyme, et moi aussi. A partir de là, même en parcourant les archives, on ne peut rien recouper.

Que savaient-ils de votre vie, de votre trajectoire ?

Ils ne savaient presque rien, ce qui prouve que leur système ne marche pas. Ils sont très forts quand il s’agit de torture psychologique, mais très inefficaces dans le renseignement, notamment sur Internet. Je m’en étais rendu compte après ma première arrestation, en mai 2010. Lors des interrogatoires, ils voulaient savoir comment je connaissais telle ou telle personne. Et quand je leur disais que j’étais en relation avec des gens sans jamais les avoir rencontrés, ils étaient surpris. Leur système est basé presque exclusivement sur le renseignement humain.

Pourtant, il y avait une unité chargée de surveiller le web…

Mais leurs méthodes sont les mêmes. Le 6 janvier, quand j’ai été arrêté pour la seconde fois, ils m’ont demandé le mot de passe de mon adresse mail. Il a fallu qu’ils me tabassent pour l’obtenir, mais c’est comme ça que ça fonctionne. Ce n’est absolument pas sophistiqué. Ils font de l’open source intelligence, ils surveillent les salafistes, mais la base de leur travail se résume à l’identification de la personne qu’ils veulent interroger.

Qu’allez-vous faire dans un futur proche ?

Je vais essayer de travailler avec des partis politiques pour pousser mes idées dans l’optique de la constituante: que tout le monde vote, que les élections soient complètement transparentes, qu’on nous fournisse toutes les données relatives aux élections pour qu’elles puissent être exploitées, et qu’on connaisse le code source du logiciel qui sera utilisé pendant le scrutin.


Crédits photo: CC Ophélia Noor & Pierre Alonso pour OWNI

]]>
http://owni.fr/2011/05/31/interview-slim-amamou-demission-tunisie/feed/ 0