Blocage des sites : Le juge contourné, pas les critiques

Le 30 septembre 2010

Alors que la France s'apprête à obliger le blocage de sites pédo-pornographiques par les opérateurs, une nouvelle étude montre que la suppression des contenus à la source est possible.

De retour à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, le projet de Loi d’Orientation et de Programmation Pour la Sécurité Intérieure (Loppsi) a été examiné hier par la Commission des Lois.

La Commission a “rejeté sans discussion” l’amendement visant à réintroduire l’obligation de passer par l’autorité judiciaire pour ordonner aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) le blocage d’un contenu présentant un “caractère manifestement pédo-pornographique”.  En janvier dernier, lors du premier passage du texte devant cette même Commission, un amendement similaire est adopté malgré l’avis défavorable du rapporteur Eric Ciotti selon qui “le caractère odieux et scandaleux des images diffusées exige que l’on soit très réactif”. Mais il y a quelques semaines, cette obligation est supprimée par le Sénat.

La disposition oblige les opérateurs à “empêcher l’accès sans délai” aux internautes français aux contenus “présentant un caractère manifestement pornographique”. Cet article de la Loppsi est inséré dans l’article 6 de la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN), article qui permet déjà de faire retirer ou de rendre inaccessible l’accès à des contenus illicites en posant le principe dit de subsidiarité. Cela implique de s’adresser d’abord à l’éditeur, puis à l’hébergeur du contenu, avant de se tourner vers les FAI en cas d’échec des demandes précédentes. Un principe conservé dans la loi sur les jeux en ligne (même si malmené dans l’affaire Stanjames) mais supprimé dans la Loppsi.

Ce qui est critiqué par beaucoup comme étant un simple “masquage” qui ne permet ni de supprimer les contenus, ni de lutter activement contre la pédo-pornographie et la pédophilie.

“Le dispositif prévu (…) ne permet nullement de réduire la pédo-pornographie en elle même, soutiennent des députés (pdf) en janvier dernier. Tout au plus permettra-t-il de cacher aux internautes le phénomène”. Cela est aussi contesté par des associations d’hébergeurs et d’opérateurs (GESTE, ASIC, AFA, FFT, etc.) “Nous sommes pour le retrait à la source (…) non pour un masquage” déclare ainsi l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA). Alors que la FFT (Fédération Française des télécoms) juge la remise en cause de la subsidiarité “inacceptable”. En Allemagne, sous le slogan “Supprimez, le bloquez pas — Agissez, ne fermez pas les yeux!“, MOGiS e.V., une association de victimes d’abus sexuels sur mineurs, s’oppose au blocage des sites “comme moyen de lutte contre la circulation des images à caractère pédopornographique sur Internet”.

Récemment, eco, association allemande des industriels d’Internet a révélé que “des 197 sites qui ont été signalés au cours du premier semestre 2010 au bureau des plaintes d’eco, 194 ont pu être supprimés dans le délai d’une semaine“. Et que les contenus hébergés sur des serveurs allemands étaient hors ligne en une journée.

Hier, AK Zensur, un groupe de travail qui regroupe plusieurs associations allemandes de défense des droits et libertés des citoyens, a publié la première version d’une analyse (pdf) sur le blocage par liste noire au Danemark et en Suède. Ceci alors, qu’outre-Rhin comme en France, les pays scandinaves sont souvent cités en exemples pour affirmer que de tels dispositifs sont possibles et efficaces. Leur analyse d’“un échantillon représentatif de 167 sites actuellement bloqués au Danemark” montre que la majorité des domaines bloqués “ne sont plus actifs”.

Pour les trois encore actifs, et contenant de la pédo-pornographie, ils ont contacté via une notification par mail l’hébergeur américain et le registrar indien. Et rapportent que le premier est intervenu en moins de 30 minutes, et le second au bout de trois heures. Également bloqués en Norvège, Suède et Finlande, deux des noms de domaines concernés sont présents sur la liste noire au Danemark depuis 2008. “Cela signifie que la police n’a rien fait depuis deux ans pour faire fermer ces sites“, critique AK Zensur.

Dans une brochure (pdf) publiée il y a quelques jours, l’organisation européenne EDRI (European Digital Rights) explique également pourquoi, selon elle, le blocage de sites ne fait que masquer les crimes que sont la pédo-pornographie et la pédophilie. “Bloquer implique de laisser les sites illégaux en ligne, et de simplement rendre leur accès plus difficile. L’accès est cependant toujours possible, quelque soit la technologie utilisée”, écrit l’EDRI. “En revanche, la suppression d’un site illégal entraîne son retrait d’Internet, et rend son accès impossible.

L’étude cite Björn Sellström, officier de police, et chef du groupe d’enquête contre la pédopornographie et la maltraitance des enfants en Suède, où un dispositif de blocage par les FAI a été mis en place en 2005 . Il y a un an, Björn Sellström déclarait : “nos mesures de blocage ne conduisent malheureusement pas à réduire la production de pédopornographie sur Internet.”

Image : CC RIUM+
Image article : AK Zensur

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