D’où vient l’argent de WikiLeaks?

Le 1 mai 2011

Longtemps attendu, le premier rapport financier de WikiLeaks est riche en enseignements. Il détaille notamment le mécanisme du don, et les raisons de la sympathie pour l'organisation.

Annoncé depuis des semaines, pour ne pas dire des mois, le fameux rapport financier (PDF, en) sur les finances de WikiLeaks en 2010 vient de sortir. Fourni par la Wau Holland Foundation, la structure allemande proche du Chaos Computer Club qui permet à l’organisation d’Assange de lever des fonds, il quantifie les dons et fournit les premières pistes d’analyse.

Ironiquement intitulé “Enduring Freedom of Information” (en référence à la fameuse opération militaire américaine en Afghanistan), le document de six pages met d’abord en lumière un premier chiffre saillant, celui des recettes: WikiLeaks a recueilli plus d’1,3 millions d’euros de dons l’année dernière, équitablement répartis entre les versements bancaires et les “cotisations” via Paypal.

On est bien loin du fundraising industriel de Barack Obama lors de la dernière campagne présidentielle américaine (il avait amassé 750 millions de dollars), mais assez proche des dons faits aux ONG de premier plan: en 2009, Médecins Sans Frontières a encaissé 3,3 millions d’euros de dons (PDF). Pourtant, WikiLeaks est une organisation beaucoup plus volatile, sans adhérents officiels. Conséquence directe de cette agilité, le site n’a utilisé que 30% (400 000 euros) de cette manne pour ses frais de fonctionnement.

Le compteur du fundraising (en millions d'euros)

La raison? Pas de locaux, une équipe réduite, et une communication “commando” orchestrée de façon virale. En elles-mêmes, les quatre “opérations” menées en 2010 ont coûté 140 000 euros, un prix assez dérisoire au regard de leur prééminence dans l’agenda médiatique. Seul regret: l’absence de détails au chapitre “rémunérations”. On apprend que WikiLeaks a payé 104 000 euros à ses “salariés”, sans que leur nombre soit précisé. “Seuls quelques chefs de projet et activistes ont été rémunérés régulièrement sur la base de factures”, peut-on lire dans un jargon d’autoentrepreneur.

Autre point très brièvement évoqué, celui qui concerne le volet judiciaire. Le site concède 33 000 euros en “conseil légal”, tout en précisant que ce chiffre (au demeurant assez faible quand on connaît la propension de WikiLeaks à utiliser ce levier pour recueillir de nouveaux dons) ne recouvre pas les affaires individuelles. En d’autres termes, l’affaire de mœurs dans laquelle est impliqué Julian Assange n’entre pas dans le budget de l’organisation.

Le poids de “Collateral Murder”

Alors qu’un grand jury américain pourrait finalement constituer un dossier afin de poursuivre l’organisation pour infraction à l’Espionage Act de 1917, ce premier bilan comptable vient éclairer deux tendances lourdes.

La première, c’est le poids de la vidéo Collateral Murder, qui montrait la bavure d’un hélicoptère Apache en Irak. Publiée en avril 2010, ce fait d’armes a apporté une notoriété mondiale à WikiLeaks, qui se traduit dans les dons. Ces quelques minutes postées sur YouTube ont rapporté près de 300 000 euros à l’organisation, 6 fois plus que les dizaines de milliers de Warlogs afghans et 8 fois plus que les rapports de situation irakiens. In fine, seul le Cablegate et le feuilleton médiatique de ses mémos diplomatiques sur plusieurs semaines a permis de lever davantage de fonds, environ 500 000 euros.

Moralité de cet échelonnement, les initiatives qui permettent de souder la communauté des sympathisants ont moins à voir avec la quantité de documents qu’avec leur mode de diffusion et les retombées médiatiques dont elles bénéficient. C’est au mois d’avril et au mois de décembre que WikiLeaks a reçu le plus de dons via Paypal (les virements bancaires ne sont pas aussi détaillés), ce qui prouve que leurs soutiens ne donnent pas forcément plus d’argent, mais sont plus nombreux à mettre la main à la poche.

Il faut toutefois se méfier de la déformation indue par ces deux pics. Si la moyenne mensuelle des dons est de 110 000 euros, la médiane est deux fois plus faible, 59 000 euros. Même constat sur le nombre de versements mensuels, puisque la moyenne est de 2146 quand la médiane se situe légèrement sous le seuil des 1500 (1468).

Culture de la transparence

Outre le montant des contributions financières, le rapport de la Wau Holland détaille leur origine géographique, qui met en exergue un véritable enseignement culturel. Ainsi, 61,3% (près de 390 000 euros) des dons viennent de pays à forte culture protestante (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne), où la notion de secret et le rapport à la transparence des institutions sont beaucoup plus prégnants que dans les pays catholiques. Comme l’énonçait notre journaliste Guillaume Dasquié dans un de nos innombrables fils de discussion:

[Le protestantisme] n’entretient pas les mêmes relations avec le caractère secret des affaires publiques, et se montre plus intransigeant dans les rapports entre citoyens et décideurs publics.

A eux seuls, les Etats-Unis – qui sont probablement le premier lieu de débats enflammés autour de WikiLeaks – représentent 34,6% de l’enveloppe globale. Rien d’étonnant dans un pays où le concept d’accountability (littéralement la responsabilité, mais plus généralement l’éthique de la gouvernance) est si forte qu’une administration lui est dédiée: le Government Accountability Office, qui se présente lui-même comme “le chien de garde du Congrès”. Même si son rôle est purement consultatif (j’ai le souvenir d’une rencontre à Washington D.C. avec un fonctionnaire spécialiste de la défense un peu désabusé), son existence est importante.

Bien sûr, cette ligne de force, la plus signifiante, était préexistante à WikiLeaks. Mais elle devrait constituer un terreau favorable au développement de plate-formes du même genre, ce qui prouverait une chose: l’idée pourra survivre à l’outil.

Billet initialement publié sur le datablog d’Owni sous le titre “WikiLeaks par ses finances”

Retrouvez l’ensemble de notre traitement éditorial sur WikiLeaks à cette adresse: wikileaks.owni.fr


Crédits photo: Wau Holland Foundation, Abode of Chaos

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