L’asile pour les doigts brûlés

Le 11 janvier 2012

Le Conseil d'Etat a tranché. Par une note interne, l'office en charge des réfugiés en France exigeait d'opposer des refus aux "doigts brûlés", les demandeurs dont les empreintes sont illisibles. La note a été suspendue par la plus haute juridiction administrative française, donnant raison aux associations de soutien.

Le Conseil d’Etat a suspendu aujourd’hui la note de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui demandait aux officiers d’opposer un rejet systématique aux demandeurs d’asile ayant des “empreintes altérées”.

L’ordonnance de la plus haute juridiction administrative met fin à une bataille juridique de plusieurs semaines entre l’Ofpra et les associations réunies au sein de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA). “L’Ofpra prend acte de cette décision. Nous l’appliquons bien entendu, et procédons à une analyse juridique avec notre service” nous a expliqué Pascal Baudouin, directeur de cabinet du directeur général de l’Ofpra.

Sans doigt ni droit

Sans doigt ni droit

Une note interne de l'Office des réfugiés montre un nouveau durcissement, visant les demandeurs dont les empreintes ...

Dans son ordonnance, le juge des référés du Conseil d’Etat, Jacques Arrighi de Casanova, considère que “l’instruction contenue dans la note du 3 novembre 2011 (…) a eu systématiquement pour effet (…) de conduire à des décisions de rejet des demandes d’asile”. Dans son mémoire et lors de l’audience, lundi 9 janvier, l’Ofpra s’en était défendu, indiquant que l’examen de la demande d’asile ne se limitait pas à l’audience avec l’officier de protection.

La secrétaire générale de l’Ofpra, Agnès Fontana, avait soutenu à cette occasion que l’examen de la demande d’asile commençait “dès que le dossier était confié à un officier de protection”. Le rejet fondé sur l’altération d’empreintes” ne s’apparentait donc pas, de son point du vue, à un rejet sans examen de la demande d’asile. L’ordonnance du juge des référés considère au contraire qu’en violation de plusieurs textes de lois :

La note contestée fait obstacle à l’examen individuel des demandes d’asile.

Caractère systématique

L’Ofpra réfutait le caractère systématique de ces rejets, mais sans être en mesure d’appuyer sa démonstration d’exemples concrets : depuis l’entrée en vigueur de cette note interne, tous les demandeurs aux “empreintes altérées” se sont vus opposer un refus. Dans son ordonnance, le juge rappelle que ni “la procédure écrite [ni] les indications recueillies à l’audience” n’ont pu étayer ces affirmations de l’Ofpra. Plus important, la lutte contre la fraude ne peut expliquer une telle consigne. Le Conseil d’Etat écrit :

L’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la fraude n’est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d’asile concernés.

Un revers pour l’Ofpra. Lors de l’audience, le juge des référés avait demandé des précisions sur les causes de ces altérations d’empreintes digitales. Les associations avaient insisté sur les mauvaises conditions de vie des demandeurs d’asile, souvent à la rue, et sur les mauvaises informations qui circulent parmi les demandeurs d’asile. L’altération des empreintes entraine un placement dit en “procédure prioritaire”, ce que certains demandeurs d’asile interprètent comme un moyen d’accélérer leur dossier selon les associations.

La CFDA ont surtout rappelé le peu de zèle dont feraient preuve les préfectures pour procéder aux relevés d’empreintes. Jean-Pierre Alaux, du Groupe d’information et de soutiens des immigrés (Gisti), a rapporté le cas d’un Erythréen convoqué cinq fois à la sous-préfecture de Calais alors que ses empreintes étaient “lisibles mais légèrement altérées”. Un exemple qui illustre selon lui “les interprétations abusives des préfectures”.

Fraude volontaire

De son côté, le ministère de l’Intérieur, à qui le Conseil d’Etat avait demandé de présenter ses observations sur ces altérations, ne retient que la fraude volontaire. Dans ce document, que nous publions ci-dessous, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration justifie la note de l’Ofpra :

Cette note fait suite à l’apparition d’une pratique à compter de l’année 2009, consistant pour certains demandeurs d’asile, à s’altérer volontairement les empreintes digitales.

L’objectif serait de passer à travers le règlement Dublin II, en vertu duquel un demandeur d’asile doit déposer son dossier dans le premier pays qui a prélevé ses empreintes, généralement les pays en périphérie de l’Union européenne, très restrictifs sur l’asile. Selon cette note du ministère de l’Intérieur, les consignes du directeur de l’Ofpra permettraient donc d’éviter “l’ « asylum shopping » ainsi que l’ « asylum in orbit » (les multiples demandes dans différents Etats membres peuvent entrainer le non examen de la demande d’asile, ce qui est une garantie pour le demandeur d’asile).” Le même document énumère les “techniques pour empêcher l’exploitation des empreintes” (page 3 du document) :

Soit le demandeur d’asile altère l’épiderme, par abrasion ou par brûlure le plus souvent ; soit le demandeur d’asile utilise un produit lui permettant de combler les sillons (…), tel que du vernis ou une colle quelconque ; soit, et plus exceptionnellement, le demandeur d’asile se fait greffer la pulpe d’un autre de ses doigts.

Le ministère de l’Intérieur insiste sur l’augmentation du phénomène d’“altération des empreintes” depuis 2009 citant les chiffres des “taux de rejet des relevés d’empreintes digitales” pour 2009, 2010 et 2011.

Extrait des observations du ministère de l'Intérieur, page 3 dans le document reproduit en intégralité ci-dessous

L’ordonnance du Conseil d’Etat met fin à une série de contentieux juridiques. Le tribunal administratif de Melun avait été saisi par le CFDA qui contestait plusieurs refus motivés exclusivement par les “empreintes altérées” des demandeurs. Dans sa décision, il considérait cette pratique de l’Ofpra comme une “atteinte manifestement grave et illégale [au] droit constitutionnel d’asile”.

Saisi dans le même temps pour se prononcer sur la légalité de la note, il s’est déclaré incompétent, renvoyant l’affaire au Conseil d’Etat. Le 28 décembre, le juge des référés du Conseil d’Etat avait cassé, sur la forme, la décision du tribunal administratif de Melun. Il considérait que cette décision était de la compétence de la Cour nationale du droit d’asile, et non du tribunal administratif.

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